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[ Interview Alles ]
Vous écoutez souvent de la musique quand vous travaillez ? (une pile de CDs trône sur le bureau de Morimoto)

La raison pour laquelle il y a tant de CDs est que lorsque je dois dessiner dans la continuité, une scène triste par exemple, je suis incapable de juste m'asseoir et commencer de suite à dessiner.

En de telles occasions, ce que je fais est de chercher et mettre la musique qui provoquera en moi l'humeur qui correspond, et après l'avoir écouté pendant une heure, je commence à dessiner. Pour les scènes de flash, j'ai dessiner en écoutant la B.O. de "Speed". Cela fonctionne parfaitement pour provoquer de la tension en moi. Par contre, pour la création d'images fortes, j'aime écouter de la techno-pop; en écouter m'aide à créer de bonnes images.

Votre personnage Eva étant une soprano, vous devez avoir apporté une attention toute particulière à la musique ?

Pour que les spectateurs aiment la musique, vous avez aussi besoin du bruit, afin de créer un fossé avec la musique. C'est pourquoi au tout début le bruit est assourdissant. J'ai pensé qu'entendre de l'opéra, très faiblement, au milieu du bruit, serait agréable. Voilà le fossé. Pourquoi y-a-t'il tant de bruit ? Vous pensez que c'est déplaisant. Mais en écoutant avec plus d'attention, vous pouvez entendre de l'opéra derrière le bruit, vous détectez une mélodie que vous avez déjà entendu ailleurs. Pour le décrire plus précisément, vous pouvez ressentir une part de nostalgie. J'ai pensé que ce serait intéressant de jouer avec le cerveau de cette façon. Cette fois, toutefois, je ne suis pas allé si loin. Malgré cela, en regardant l'utilisation de la musique, j'ai pensé que je ne voulais pas utiliser de la belle musique uniquement comme de la belle musique.

Les souvenirs d'Eva, le monde créé par ses souvenirs, sont un thème important, n'est-ce pas ?

Oui. Les souvenirs, ou le temps. Cette fois, en particulier, en faisant "Magnetic Rose", j'ai lu beaucoup de livres sur le fait d'être humain, et il y avaient des passages où les auteurs exposent leurs côtés les meilleurs. Et d'autres passages sur le fait que l'on se replie sur soi dans la seconde partie de sa vie. J'ai pensé, sans doute les hommes sont-ils ainsi faits. Comment pourrais-je le montrer, c'est comme vouloir uniquement montrer la part qui brille telle une étoile, c'est celle-là qui est la plus intéressante. Voilà le principe de base. A partir de là, j'ai développé toute la thématique visuelle de l'histoire.

A quels points avez-vous fait plus particulièrement attention en faisant un film de l'histoire originale ?

Comme base de comparaison dans l'exploration des souvenirs d'Eva, j'ai senti qu'il y avait besoin d'un autre personnage dont la vie serait à l'opposé, comme l'ombre et la lumière, et ce fut Heinz, à qui j'ai fait porter le deuil de ses souvenirs, de son passé.
L'animation, dans ce contexte, commence avec une belle scène, quelque part, et au fur et à mesure que vous avancez dans l'histoire, elle paraît de plus en plus délabrée. En d'autres termes, plus j'examinais son personnage, et plus je voulais non pas montrer ses mauvais côtés, mais plûtôt mettre en avant sa part d'ombres, ce que j'ai fait par l'intermédiaire du décor.
Quand j'ai vu que je pouvais faire cela, j'ai pensé que cela fonctionnerait parfaitement. J'aime les espaces froids et délabrés, c'est pourquoi je cherche toujours à les incorporer. Quoi que vous fassiez, il y a toujours ces éléments personnels que vous voulez inclure, et de ce coté, je pense avoir plutôt réussi.

Ce monde de souvenirs, est-ce un univers onirique créé par un ordinateur, où Eva l'a-t-elle créé elle-même ?

Eva veut se plonger dans ses propres souvenirs, si l'on peut dire. Je pense personnellement que c'est une bonne chose, avec la nuance qu'en faisant cela, vous essayez aussi d'y attirer diverses personnes, ce qui peut causer quelques troubles.
L'histoire originale est celle de la recherche [par Heinz] du type de personne qu'elle est en réalité, mais dans le cas d'un film d'animation destiné à être montré dans une salle de cinéma, j'ai senti que quelque chose manquerait. Pour cette raison, j'ai donné à Heinz, qui est celui qui cherche, des points communs, tels que des souvenirs similaires. Heinz est Heinz, il sort de sa coquille, tandis qu'Eva, de son côté, adore cet univers.

Récemment, il y a eu beaucoup de discussions à propos de la fusion de l'animation avec l'infographie (cette interview date de 1997). Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Cette fois, c'était inévitable : je devais faire faire une rotation à une rose, et je me demandais comment faire, quand j'ai pensé à utiliser l'ordinateur. Au départ, j'ai créé une modellisation et j'ai tenté de la filmer. Le prix des ordinateurs chutte rapidement, c'est pourquoi j'ai pensé pouvoir m'en servir. Donc tout a commencé par la décision d'essayer de faire une rose... Mais en faisant cela, mon intérêt à évolué vers la réalisation de certaines parties avec l'ordinateur.

Dans le futur, il sera probablement possible de prendre une image originale et de l'animer par ordinateur...

Je le pense, en effet. Au final, les ordinateurs ne font rien par eux-mêmes ; j'ai du créer les dessins, et je ne crois pas que cela puisse changer. Donc, de la même façon que l'aérographe est apparu par le passé, cette fois il s'agit juste de l'arrivée des ordinateurs sur le devant de la scène.
Du point de vue des financiers, les sponsors veulent savoir quelles scènes ont été créées avec un ordinateur, puisque ce sont eux qui paient. Ils insistent beaucoup pour savoir où leur argent a été utilisé, mais pour ma part je me fiche de me servir ou non d'un ordinateur. Le problème été juste d'avoir à en utiliser un, et je n'ai pas essayé de mettre ce fait en avant.

Donc les ordinateurs font partie des outils que vous utilisez désormais dans votre travail ?

Oui. Les animations, quand vous utilisez des ordinateurs capables de créer de bonnes images 3D, sont très voyantes. Quand vous faîtes cela, les images générées par ordinateur et l'animation traditionnelle ne s'intègrent clairement pas les unes aux autres. Ce n'est pas souhaitable, les gens disent "Vous avez utilisé un ordinateur là ?" Au contraire, j'essaie de cacher l'ordinateur.
A la base, ce que je fais n'a pas changé... faire ce que je veux... toutefois, si vous ne connaissez pas le B.A.BA, le spectateur ne pourra entrer dans l'histoire. Le contraste entre l'ordinaire et l'extraordinaire ne sera pas atteint.

Au cours des dernières années, l'animation a pris une ampleur considérable, tant du point de vue technologique que budgétaire. De quelle manière va évoluer l'animation, selon vous ?

Comme je l'ai déjà dit, ce que je fais n'a pas changé. Je veux continuer à faire ce que j'aime, bien qu'en faisant ce que j'aime, il y a certaines choses que je dois contrôler et que je dois faire.
Quelle que soit la technologie que vous utilisez, que vous utilisiez des sommes énormes pour la production ou non, au final, dans la mesure où il s'agit d'expression artistique, si vous ne connaissez pas les bases, le spectateur ne vous suivra pas. Le contraste entre ordinaire et extraordinaire ne sera pas atteint. En ce sens, le travail d'Otomo sur "Akira" est très imaginatif, mais il possède toutes les bases. Si vous voulez exploiter le contraste entre ordinaire et extraordinaire, vous devez scrupuleusement décrire l'ordinaire, sous peine de ne pouvoir provoquer quelque effet que ce soit.