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[ Interview HK-Magazine n°12 ]

On vous connaît surtout à l'étranger pour votre réalisation de Magnetic Rose, le premier épisode de Memories. Pourriez-vous nous dire ce que vous faisiez auparavant et comment s'est produite la rencontre avec Katsuhiro Otomo ?

Les deux sont liés. J'étais fan du travail d'Otomo dans le manga mais je m'intéressais encore d'avantage à l'animation.

J'avais fait des études de design à Osaka et j'ai fini par entrer dans la boîte Madhouse. Quand on a proposé à Otomo de venir travailler sur Harmagedon de Rintaro, j'ai intégré son équipe. À partir de là, nous avons fait un bout de chemin ensemble. Otomo lui-même découvrait l'animation avec ce film, mais il possédait déjà un style, une sensibilité. Nous avions de nombreux points communs, en particulier notre enthousiasme pour le travail de Bilal. Depuis, nous sommes devenus de très bons amis, tout en poursuivant nos routes respectives. J'avais trop envie d'œuvrer sur mes propres projets.

Sur le premier épisode de Memories, vous avez aussi travaillé avec Satoshi Kon, futur réalisateur de Perfect Blue. Pourriez vous commenter cette collaboration et nous dire comment vous avez abordé votre mise en scène ?

Je cherchais (et cherche encore) à déveloper une approche qui s'appuie essentiellement sur la musique et les états qu'elle suscite en moi. Je la laisse me suggérer des univers dans lesquels je fais ensuite évoluer mes personnages. Satoshi Kon, lui, faisait partie de l'entourage d'Otomo et était l'un de ses assistants pour l'animation. Ensemble, nous avons travaillé à l'élaboration du scénario de Magnetic Rose, mais aussi beaucoup dessiné pour en définir l'univers visuel. Satoshi Kon et moi partageons une attirance pour les ruines, les châteaux abandonnés, les monuments qui s'effondrent, les univers en décomposition... J'ajoute que des films de Tarkovski comme Stalker et Nostalghia m'ont beaucoup servi lors du travail sur Memories.

Vous disiez que la musique joue un rôle important dans vos réalisations. Vous avez tourné quelques clips remarquables, dont Extra de Ken Ishii. Le personnage principal de Magnetic Rose est une chanteuse d'opéra. Le thème du son et de la musique est aussi au cœur de Noiseman Sound Insect. Qu'est-ce que la musique vous apporte, vous aide-t-elle à créer des personnages, à concevoir un rythme de montage ?

Comme je vous l'ai dit, la musique est le cœur de mes films et de ma facon de travailler. Elle ne m'aide pas tant à créer des personnages que des climats, les atmosphères spécifiques de chaque séquence. Les personnages passent ainsi d'un état à l'autre et c'est précisément ce passage qui m'intéresse. Par ailleurs, I'animation est un travail minutieux, concentré, qui exige de maintenir une certaine tension. Pour retrouver l'ambiance de chaque scène, pour me replonger dans l'état psychologique ou émotionnel qu'elle exige, je réécoute systématiquement la même musique, sans arrêt, jusqu'à ce que j'en ai fini avec la séquence en question. La musique a une telle importance pour moi qu'il m'est absolument indispensable d'établir un excellent rapport, une vraie complicité avec le compositeur et que celle ci se ressente à la vision du film. Désormais, je fais systématiquement appel aux mêmes musiciens avec lesquels je m'entends sur l'intensité et la richesse des textures sonores.

Votre personnage de Noiseman rappelle beaucoup celui de Oogie Boogie dans L'Étrange Noël de Monsieur Jack de Tim Burton...

Dans un sens, c'est évident. J'aime Tim Burton en tant que réalisateur et pour son lien très puissant avec l'animation. Ce qui a retenu mon attention chez le personnage de Oogie Boogie, c'est qu'il est enfantin et mignon, mais que ce qu'il cache à l'intérieur fait très peur. De ce point de vue oui, Noiseman puise du côté de Burton.

Pourquoi cette réalisation est-elle si courte ?

Au départ, I'idée était d'en faire un DVD de quarante-cinq minutes. Après une exposition linéaire, je voulais imaginer plusieurs directions alternatives pour le récit. Je voulais essayer de trouver des équivallents visuels au son, cette matière invisible, traduire l'idée même de son par l'animation. J'ai même envisagé une exploitation cinéma de Noiseman, mais les salles au Japon ne sont pas équipées techniquement pour ce que j'avais en tête. C'était bien trop complexe sur le plan de la qualité sonore pour que le spectateur puisse vraiment en faire l'expérience en salle. Le personnage de Noiseman capture tous les sons agréables, notamment musicaux, les emprisonne et les garde en lui. Puis il les libére, et je tenais à ce que cette cascade, cette déferlante de sons soit une véritable expérience auditive. J'ai proposé le projet aux exploitants, mais aucun n'était prêt à investir pour moderniser son équipement (rires).

Vous avez aussi réalisé en 1998 toute une série de petits spots pour la société NTT (Nippon Telegraph & Telephone), regroupés sous le titre Eternal Family. Vous ne rechignez donc pas à faire de la pub ?

Non, mais de la pub expérimentale. C'était pour une série de produits et services informatiques offerts par cette société, qui est très active dans le champ et le soutien aux nouveaux médias. En principe, on fait une pub qui repasse plusieurs fois par semaine, pendant quelques mois. J'ai proposé à NTT de faire un court spot animé de vingt à trente secondes chaque semaine. J'en ai donc fait cinquante-deux qui s'enchaînaient.

Vous vous intéressez de près aux nouvelles technologies ?

Dans le cadre de l'animation, I'ordinateur arrive toujours à proposer quelque chose, pas forcément une solution, mais des variations, à partir de manipulations sur le traitement de l'image. Et bien entendu, au niveau du montage, c'est fabuleux. On peut voir immédiatement le résultat.

Vous comptez réaliser un film entièrement en 3-D ?

J'y travaille en ce moment-même. J'ai réalisé un court métrage en 3-D il y a quelques mois,Tokitama-kun, I'histoire d'un petit garçon qui, lorsque ses parents lui demandent quand il va rentrer, répond "dans 300 ans". Et les parents le prennent aux sérieux ! Je me suis surtout servi de softs comme SoftImage & Toonshader pour le faire. Le projet de long-métrage est plus complexe. Je cherche à utiliser l'infographie d'une façon qui évoquerait la sensibilité du trait. Je rêve d'atteindre une dimension vraiment graphique, proche du dessin, mais par les moyens du numérique.

Otomo nous disait qu'il espérait que Steamboy soit le premier long-métrage en 3-D réalisé au Japon. Vous avez travaillé à la première version du scénario. L'avez vous également conseillé sur le plan de la technologie ?

Nous en avons parlé, mais je n'avais pas le temps de m'investir d'avantage sur ce projet car je commençais à travailler sur le mien. Outre l'importance que j'accorde au son, une différence majeure entre nos films tient à ceci : je crée mes personnages dans l'ordinateur alors qu'Otomo dessine les siens d'abord sur papier et n'a recours à l'ordinateur que pour l'animation proprement dite.

Les personnages principaux de votre film seront-ils à nouveau des enfants, des jeunes gens comme dans Noiseman, ou retrouverons-nous des adultes comme dans votre épisode de Memories ?

Ce seront des enfants et des vieillards. Des enfants qui seront confrontés à des situations de responsabilité et des vieillards qui n'ont plus à se préoccuper de ces questions. Tous se retrouveront complices sur le terrain de la spontanéité. L'histoire tiendra compte de la nature de ces personnages et je pourrai tenter encore plus de choses sur le plan visuel.

J'ai le sentiment que votre génération de réalisateurs porte un souci plus important à la qualité du scénario. Dans vos films, ceux d'Otomo, de Kon, Kawajiri, et bien sûr ceux de Oshii, le scénario, la richesse et la complexité des personnages se distinguent de la majorité des productions anime antérieures...

Ce qui a le plus changé dans le scénario, c'est l'envie, Y compris dans des genres tels que la SF ou le fantastique, de ramener les personnages principaux près de la réalité. D'en faire des gens normaux et de les confronter à des situations extraordinaires, de travailler sur leurs émotions, sur la façon dont ils appréhendent le contexte, I'enjeu. Bref, de leur donner une profondeur. Qu'ils soient toujours des héros, mais dotés d'un super-pouvoir très contemporain : une compréhension intime de la technologie, plus rapide, plus efficace et plus maitrisée.

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Propos recueillis par Stephen Sarrazin à Tokyo, février 1999 et traduit du japonais par Masae Miki.

Remerciements à Elia Hiramoto.