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On vous connaît surtout à l'étranger
pour votre réalisation de Magnetic Rose, le premier
épisode de Memories. Pourriez-vous nous dire ce que
vous faisiez auparavant et comment s'est produite la rencontre
avec Katsuhiro Otomo ?
Les deux sont liés. J'étais fan du
travail d'Otomo dans le manga mais je m'intéressais
encore d'avantage à l'animation.
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J'avais fait des études de design à Osaka et j'ai
fini par entrer dans la boîte Madhouse. Quand on a proposé
à Otomo de venir travailler sur Harmagedon de Rintaro, j'ai
intégré son équipe. À partir de là,
nous avons fait un bout de chemin ensemble. Otomo lui-même découvrait
l'animation avec ce film, mais il possédait déjà
un style, une sensibilité. Nous avions de nombreux points communs,
en particulier notre enthousiasme pour le travail de Bilal. Depuis,
nous sommes devenus de très bons amis, tout en poursuivant
nos routes respectives. J'avais trop envie d'œuvrer sur mes propres
projets.
Sur le premier épisode de Memories, vous avez aussi
travaillé avec Satoshi Kon, futur réalisateur de Perfect
Blue. Pourriez vous commenter cette collaboration et nous dire comment
vous avez abordé votre mise en scène ?
Je cherchais (et cherche encore) à déveloper une approche
qui s'appuie essentiellement sur la musique et les états qu'elle
suscite en moi. Je la laisse me suggérer des univers dans lesquels
je fais ensuite évoluer mes personnages. Satoshi Kon, lui,
faisait partie de l'entourage d'Otomo et était l'un de ses
assistants pour l'animation. Ensemble, nous avons travaillé
à l'élaboration du scénario de Magnetic Rose,
mais aussi beaucoup dessiné pour en définir l'univers
visuel. Satoshi Kon et moi partageons une attirance pour les ruines,
les châteaux abandonnés, les monuments qui s'effondrent,
les univers en décomposition... J'ajoute que des films de Tarkovski
comme Stalker et Nostalghia m'ont beaucoup servi lors du travail sur
Memories.
Vous disiez que la musique joue un rôle important dans
vos réalisations. Vous avez tourné quelques clips remarquables,
dont Extra de Ken Ishii. Le personnage principal de Magnetic Rose
est une chanteuse d'opéra. Le thème du son et de la
musique est aussi au cœur de Noiseman Sound Insect. Qu'est-ce
que la musique vous apporte, vous aide-t-elle à créer
des personnages, à concevoir un rythme de montage ?
Comme je vous l'ai dit, la musique est le cœur de mes films
et de ma facon de travailler. Elle ne m'aide pas tant à créer
des personnages que des climats, les atmosphères spécifiques
de chaque séquence. Les personnages passent ainsi d'un état
à l'autre et c'est précisément ce passage qui
m'intéresse. Par ailleurs, I'animation est un travail minutieux,
concentré, qui exige de maintenir une certaine tension. Pour
retrouver l'ambiance de chaque scène, pour me replonger dans
l'état psychologique ou émotionnel qu'elle exige, je
réécoute systématiquement la même musique,
sans arrêt, jusqu'à ce que j'en ai fini avec la séquence
en question. La musique a une telle importance pour moi qu'il m'est
absolument indispensable d'établir un excellent rapport, une
vraie complicité avec le compositeur et que celle ci se ressente
à la vision du film. Désormais, je fais systématiquement
appel aux mêmes musiciens avec lesquels je m'entends sur l'intensité
et la richesse des textures sonores.
Votre personnage de Noiseman rappelle beaucoup celui de Oogie
Boogie dans L'Étrange Noël de Monsieur Jack de Tim Burton...
Dans un sens, c'est évident. J'aime Tim Burton en tant
que réalisateur et pour son lien très puissant avec
l'animation. Ce qui a retenu mon attention chez le personnage de Oogie
Boogie, c'est qu'il est enfantin et mignon, mais que ce qu'il cache
à l'intérieur fait très peur. De ce point de
vue oui, Noiseman puise du côté de Burton.
Pourquoi cette réalisation est-elle si courte ?
Au départ, I'idée était d'en faire un DVD de
quarante-cinq minutes. Après une exposition linéaire,
je voulais imaginer plusieurs directions alternatives pour le récit.
Je voulais essayer de trouver des équivallents visuels au son,
cette matière invisible, traduire l'idée même
de son par l'animation. J'ai même envisagé une exploitation
cinéma de Noiseman, mais les salles au Japon ne sont pas équipées
techniquement pour ce que j'avais en tête. C'était bien
trop complexe sur le plan de la qualité sonore pour que le
spectateur puisse vraiment en faire l'expérience en salle.
Le personnage de Noiseman capture tous les sons agréables,
notamment musicaux, les emprisonne et les garde en lui. Puis il les
libére, et je tenais à ce que cette cascade, cette déferlante
de sons soit une véritable expérience auditive. J'ai
proposé le projet aux exploitants, mais aucun n'était
prêt à investir pour moderniser son équipement
(rires).
Vous avez aussi réalisé en 1998 toute une série
de petits spots pour la société NTT (Nippon Telegraph
& Telephone), regroupés sous le titre Eternal Family. Vous
ne rechignez donc pas à faire de la pub ?
Non, mais de la pub expérimentale. C'était pour
une série de produits et services informatiques offerts par
cette société, qui est très active dans le champ
et le soutien aux nouveaux médias. En principe, on fait une
pub qui repasse plusieurs fois par semaine, pendant quelques mois.
J'ai proposé à NTT de faire un court spot animé
de vingt à trente secondes chaque semaine. J'en ai donc fait
cinquante-deux qui s'enchaînaient.
Vous vous intéressez de près aux nouvelles
technologies ?
Dans le cadre de l'animation, I'ordinateur arrive toujours à
proposer quelque chose, pas forcément une solution, mais des
variations, à partir de manipulations sur le traitement de
l'image. Et bien entendu, au niveau du montage, c'est fabuleux. On
peut voir immédiatement le résultat.
Vous comptez réaliser un film entièrement en
3-D ?
J'y travaille en ce moment-même. J'ai réalisé
un court métrage en 3-D il y a quelques mois,Tokitama-kun,
I'histoire d'un petit garçon qui, lorsque ses parents lui demandent
quand il va rentrer, répond "dans 300 ans". Et les
parents le prennent aux sérieux ! Je me suis surtout servi
de softs comme SoftImage & Toonshader pour le faire. Le projet
de long-métrage est plus complexe. Je cherche à utiliser
l'infographie d'une façon qui évoquerait la sensibilité
du trait. Je rêve d'atteindre une dimension vraiment graphique,
proche du dessin, mais par les moyens du numérique.
Otomo nous disait qu'il espérait que Steamboy soit
le premier long-métrage en 3-D réalisé au Japon.
Vous avez travaillé à la première version du
scénario. L'avez vous également conseillé sur
le plan de la technologie ?
Nous en avons parlé, mais je n'avais pas le temps de
m'investir d'avantage sur ce projet car je commençais à
travailler sur le mien. Outre l'importance que j'accorde au son, une
différence majeure entre nos films tient à ceci : je
crée mes personnages dans l'ordinateur alors qu'Otomo dessine
les siens d'abord sur papier et n'a recours à l'ordinateur
que pour l'animation proprement dite.
Les personnages principaux de votre film seront-ils à
nouveau des enfants, des jeunes gens comme dans Noiseman, ou retrouverons-nous
des adultes comme dans votre épisode de Memories ?
Ce seront des enfants et des vieillards. Des enfants qui seront
confrontés à des situations de responsabilité
et des vieillards qui n'ont plus à se préoccuper de
ces questions. Tous se retrouveront complices sur le terrain de la
spontanéité. L'histoire tiendra compte de la nature
de ces personnages et je pourrai tenter encore plus de choses sur
le plan visuel.
J'ai le sentiment que votre génération de réalisateurs
porte un souci plus important à la qualité du scénario.
Dans vos films, ceux d'Otomo, de Kon, Kawajiri, et bien sûr
ceux de Oshii, le scénario, la richesse et la complexité
des personnages se distinguent de la majorité des productions
anime antérieures...
Ce qui a le plus changé dans le scénario, c'est
l'envie, Y compris dans des genres tels que la SF ou le fantastique,
de ramener les personnages principaux près de la réalité.
D'en faire des gens normaux et de les confronter à des situations
extraordinaires, de travailler sur leurs émotions, sur la façon
dont ils appréhendent le contexte, I'enjeu. Bref, de leur donner
une profondeur. Qu'ils soient toujours des héros, mais dotés
d'un super-pouvoir très contemporain : une compréhension
intime de la technologie, plus rapide, plus efficace et plus maitrisée.
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Propos recueillis par Stephen Sarrazin à Tokyo, février
1999 et traduit du japonais par Masae Miki.
Remerciements à Elia Hiramoto.